Chew your words pt.3 (but this time, I won't swallow them)
S'armer de l'écriture pour cesser de porter le poids du monde
J’ai mal jusqu’au bout de mes droits et je peine à expliquer pourquoi.
Pourquoi devrais-je justifier les craintes qui m’habitent au fait de savoir qu’un criminel, aux idées connes et décisions inquiétantes ait été élu à la tête d’un des pays les plus influents du monde ? Comment voulez-vous que ma voix ne tremble pas lorsqu’on me demande comment je ressens ces résultats. Qu’elle tremble de colère, de peur, ou d’incompréhension, cette voix que je porte, mais qui ne porte jamais assez fort n’a pas envie de parler pour ne pas se faire entendre. C’est triste mais je préfère me taire pour ne pas risquer d’être ignorée.
Depuis que je suis toute petite, je me sens ainsi : ma voix ne sera jamais assez forte pour être aussi valide que mes confrères. Et c’est d’une tristesse immense, car si une de mes précieuses exprimait une telle pensée, j’en serais dévasté. Mais parce que c’est moi, et que je me suis construite autour de cette croyance, j’éprouve peu de compassion à l’égard de ma propre perception que j’ai de la valeur de mon opinion.
Dans la dernière année, pourtant, je ressens une conviction : celle de vouloir démêler les noeuds qui se sont formés en moi. Des noeuds issus de l’idée que je dois me faire petite, afin de ne pas dépasser les lignes du beau. Acheter la paix en opinant du bonnet, tout en renforçant ce monde intérieur dans lequel je me réfugie pour échapper à une réalité, qui souvent, me déçoit.
J’ai mon propre coffre de croyances, d’opinions, d’idées mais qui me demande un effort lorsqu’on me demande de les communiquer par peur d’être invalidée. Trop souvent, cela m’est arrivé pour que je n’en sois par marquée.
Porter le poids du monde entier sur mes épaules pour ne pas partager mes maux à autrui. Mais là, c’est trop. On nous vole des bouts de nous. Combien de fois m’a-t-on demandé de moins briller, sous prétexte que cela manquerait de respect à quelqu’un ? Et pourtant, qui nous offre ce respect en retour ?
Aujourd’hui, j’ose répondre, à grands coups de poèmes dans mon journal sur le feu qui m’habite ;
S’armer de l’écriture pour cesser de porter le poids du monde
Armer la rage.
Armer les femmes
Armer nos sacoches
Armer nos filles
Armer nos mères
Désarmer les hommes
S’armer de patience en attendant que justice soit faite
Armer nos silences
Armer nos cries
Armer nos routines de cours d’autodéfense
Désarmer les inégalités qui baignent dans un liquide d’impuissance
S’armer de flotteur pour essayer de garder la tête hors des eaux troubles
Armer notre mental pour qu’il ne devienne pas l’humilier ou le dominer
S’armer pour ne pas se faire souiller
Armer nos vies de « […] balises étanches et scrupuleusement définies » (Lafontaine, 2022).
Rêver de frontières imperméables aux spermes indésirés des hommes en détresse
« Cette négation de l’horreur humaine est un luxe que la plupart des femmes ne possèdent pas » (Lafontaine, 2022,).
Écrire.
Écrire pour éteindre nos cris.
Écrire pour se décristalliser. Oui. C’est à ça que ça me sert.
Écrire pour vomir la surcharge émotive.
S’armer de l’écriture parce que c’est un de seuls moyens de se faire entendre.
Écrire pour s’exprimer par en dedans.
S’engager dans nos cahiers gribouillés. S’enrager pour s’engager.
Écrire pour laisser une trace indélébile de nos mots. Nos Maux.
Écrire pour éviter de convulser de haine.
« J’ai les rétines tapissées d’angoisses. » (Duras, 1993)
On est brûlées
Brûlées sur des buchées.
Je bucherais un à un ceux qui font en sorte que cette statistique existe : « aux États-Unis toutes les soixante-huit secondes un homme viole une femme […] Au Canada, ça arrive toutes les dix-sept minutes. » (Lafontaine, 2022).
Écrire pour éloigner les érections attentat. Attends-toi pas. La raison ne leur reviendra pas.
Écrire pour essayer de comprendre la souffrance humaine.
Extérioriser par l’écriture pour éviter de crier au juge que je l’étoufferais avec mes genoux de toutes les manières possibles sauf sexuelle (Boisvert, 2015).
Écrire pour habiter la solitude
« Cette maison, elle est devenue celle de l’écriture. » (Duras, 1993)
À 14 ans, j’avais noté dans mon iPod touch une liste intitulée : « Loi dans mon pays ». Cette liste contenait quatorze lois, imaginées si j’étais un jour à la tête d’un pays. Par exemple : À partir de 23 h, toutes les lumières extérieures doivent être éteintes pour contrer la pollution lumineuse et permettre de voir le ciel étoilé. Ou encore : Chaque citoyen souffrant d’un mal de vivre aurait naturellement droit à réaliser un de ses rêves, pour lui rappeler que la vie peut être douce et belle. Ou bien : Toute personne devrait avoir accès à une alimentation saine, et, si ce n’est pas le cas, recevoir gratuitement de délicieux repas chez elle.
Dans ma tête d’enfant naïve, ces lois allaient de soi. Elles visaient à rendre le bonheur accessible à toutes et tous, et non à propager la terreur. Je crois que cette naïveté que porte mon grand cœur, arrive à apaiser mes peurs, et me pousse à garder une forme d’optimisme, même s’il y a des minutes où je n’ai plus envie de croire en rien.
M’entourer d’humains qui perçoivent le monde comme je le vois berce mon cœur et apaise certaines plaies. Comme lorsque, face au chagrin d’une amie, je lui dis combien j’aimerais lui trouver un remède afin d’alléger ses peines. Aujourd’hui, j’aimerais pouvoir trouver un remède pour que la planète reprenne son souffle, pour qu’elle tourne à nouveau dans le bon sens. J’aimerais que nos cœurs, épuisés par la déception et l’anticipation, retrouvent enfin un rythme apaisé.
Je ne crois pas que ce soit trop demandé. Mais je suis essoufflée. Essoufflée de voir notre monde se dérober sous nos pieds.