À l’âge de 11 ans, je me souviens avoir été marquée par le fait que les adultes autour de moi me disaient souvent que j’avais une vieille âme pour mon âge. J’en étais fière. Et parfois, ça m’aidait un peu à justifier le fait que je me sente incomprise ou trop intense et émotive par rapport aux gens de mon âge. Ça venait aussi avec une peur de décevoir : dans ma tête d’enfant, savoir que les enseignants et les adultes qui m’entouraient avaient cette opinion de moi, c’était comme si je n’avais pas droit à l’erreur. Je voulais les rendre fiers et leur montrer que j’étais plus mature. Peut-être même que je désirais me sentir spéciale à leurs yeux. Une valorisation que tout enfant, et même adulte, cherche, je crois.
Puis un jour, je me souviens m’être dit : « Mais si j’ai une vieille âme à 11 ans, je vais être quoi à 16 ans ou même plus vieille ? » Mes journaux intimes d’enfance sont remplis de pages où je réclame à l’univers de vieillir, de devenir adolescente vite, vite, vite, car j’en avais marre d’être une enfant. J’avais envie d’être vue et entendue comme une adulte.
Et c’est quelques années plus tard, au tout début de ma vingtaine, je crois, qu’a émergé cette peur et cette crainte, peut-être un peu irrationnelles : j’ai commencé à avoir terriblement peur de vieillir. À 20 ans, je me rongeais les ongles à l’idée que je ne pouvais y échapper et que, plus le temps avancerait, plus j’allais être inconfortable avec cette nouvelle anticipation d’un truc inévitable de la vie.
Plus je vieillis, plus cet inconfort se transforme, s’ajuste, se tourne et se retourne en moi pour trouver une place confortable, bien qu’il reste désagréable. Au départ, je crois que c’était la peur de devenir “beige” qui m’effrayait. J’avais l’impression que, plus les gens vieillissent, plus ils ont tendance à oublier leurs fougues, leurs projets, ce qu’ils aiment réellement. Comme si la vie allait trop vite pour que les vrais adultes se reconnectent à leurs racines et à leurs raisons d’être sur cette Terre. J’avais peur de perdre tout ça en vieillissant. J’avais peur de trop m’établir dans des choses confortables et d’éteindre mon feu petit à petit. Alors je fais bien attention de nourrir ce feu, de le garder en vie pour qu’il me réchauffe et me prouve que je ne me perds pas perdue de vue.
J’ai retrouvé ce paragraphe que j’avais écrit lorsque je vivais à Londres. En fait, c’est en retombant sur ces écrits oubliés que j’ai eu envie d’écrire sur ma peur de vieillir. Car elle m’a tellement habitée et reste incomprise, autant par moi que par celles et ceux qui m’entourent. Je me suis donc dit que d’écrire à ce sujet pourrait m’aider à démêler ces pensées.
En tant que femme aussi, je crois que j’anticipe la vieillesse avec une grande superficialité et un attachement à l’image. La jeunesse éternelle semble être une quête viscérale. Prévenir les marques du temps autour de mes yeux à coup de paniers Sephora hors de prix.
Observer la vieillesse. Jalouser la jeunesse.
À 25 ans, je me suis dit que j’avais atteint ma date de péremption pour plusieurs hommes. C’est dégoûtant, mais j’ai tellement vu et entendu de choses, même dans mon entourage proche, que les jeunes femmes en bas de 25 ans seraient les plus belles, les mieux galbées, les plus naïves, les plus attirantes, quoi. Ça me déçoit de surprendre mon cerveau à penser ça, à nourrir ces pensées. Mais comment faire autrement quand on nous martèle cela en permanence ? J’ai l’impression qu’on perd de notre valeur en vieillissant, et ça me fait peur.
Et n’essayez pas de me contredire, s’il vous plaît. Ce serait mentir que de dire qu’on ne néglige pas un peu les personnes âgées.
Mon cœur se serre à penser à toutes les résidences de personnes âgées remplies d’humains oubliés.
Je n’ai pas envie d’être oubliée, moi.
Si j’étais actrice, j’aurais tellement peur de voir le nombre de rôles qu’on m’offrirait diminuer, simplement parce que je serais moins belle à regarder à l’écran, puisque des rides de vie se seraient creusées sur mon visage. Imaginez se faire dire qu’on a “mal vieilli”. C’est terrible. Et ça veut dire quoi, “mal vieillir” ?
Et je dis ça en me projetant de nombreuses années plus tard, car j’ai seulement 26 ans, et je ne serai jamais aussi jeune qu’aujourd’hui. Ça sonne comme une grande tragédie, je le sais.
Alors j’essaie de me conditionner à voir la vieillesse autrement. Ça vient avec une sagesse, bien sûr. En fait, c’est peut-être cette sagesse qui finira par faire taire mes peurs.
En attendant que cette sagesse arrive, je m’amuse à dresser des listes des choses que j’aime chez la Caroline qui prend de l’âge (mélodramatique, oui, oui) :
Mes mains embellissent. Elles sont plus douces, plus définies, et mes veines bleues leur donnent une élégance particulière.
Mon cortex cérébral a terminé de se former, et on dirait que je l’ai senti du jour au lendemain. Comme si, tout à coup, j’avais vraiment choisi vers quoi diriger mon énergie et ce que je voulais éviter.
L’envie de m’assumer et de me faire entendre est non seulement plus présente, mais elle est beaucoup moins inconfortable qu’avant.
Je suis terriblement moins gênée qu’enfant. Maintenant, j’adore parler à tout le monde et en apprendre davantage sur leur vie.
Mon envie de plaire à tout prix est devenue minuscule. Je retire bien plus de fierté et d’aise en faisant ce qui me plaît, plutôt que d’essayer de plaire à autrui.
Je peux chérir et nourrir mon indépendance comme bon me semble.
Mes cheveux restent propres plus longtemps.
Mon intuition s’aiguise et m’oriente de mieux en mieux.
Je crois commencer à sentir une réformation de ces pensées. Je me surprends à me dire que jamais je ne retournerais à 20 ans. Je suis tellement plus en confiance avec la personne que je deviens.
J’ai l’impression que, plus je vieillis, plus je peux compter sur elle, la Caroline du présent.
Celle qui se bat pour sa paix intérieure, qui écoute son instinct, même si ça la fait trembler parfois.
Tout cela vient renforcer mes relations avec autrui et avec ma propre personne.
Lorsque mon regard se pose sur les autres, souvent, ce qui me charme le plus, ce sont les pattes d’oie au coin de leurs yeux, leurs tempes grisonnantes, ou cette assurance qu’ils ont de s’habiter avec confiance.
J’apprends à admirer la vieillesse.
J’essaie de valser avec la mienne.
Je me rassure en me prouvant que ma personnalité reste la même, enfantine et naïve, peu importe mon âge. Je reste attachée à tout ce qui me ramène à l’enfant en moi, et ça me fait un bien fou.
Je dors avec Ludovic, mon toutou. Je reste curieuse et je pose des questions quand je ne comprends pas, au lieu de faire semblant. Je mange de la gomme balloune, je glisse avec mon traîneau, je lis des Archie, je pleure pour rien, juste pour me faire du bien. Je joue beaucoup, je peins, j’observe, je rêve grand, je nourris mon imaginaire sans arrêt, et je me laisse émouvoir par tout ce qui fait vibrer mon grand cœur.
Dans un sens, je crois que c’est bien d’assumer cette crainte au lieu de la camoufler avec de l’inauthenticité, des injections ou des fils tenseurs pour garder un visage de bébé et des yeux bien éveillés. Je préfère m’incarner et me voir évoluer avec le plus d’humanisme et de réalisme possible.
Mais j’aurais aimé qu’on m’apprenne ça plus tôt : que de craindre l’inévitable ne fait que m’enlever le pouvoir de profiter de ce qui m’arrive au présent et que je ne serais jamais aussi jeune que je le suis maintenant.
Je te souhaite de valser à tous les temps quand tu auras appris🥰
Grand coeur sage, va! Beauté immuable et attachante.