J’ai quitté le Mile-End il y a environ deux mois pour venir m’installer sur le Plateau. J’ai eu la chance de trouver une perle pour mon nouveau nid, et j’ai eu les clés le jour de mes 26 ans. J’aime me dire que c’était la façon de l’univers de me flatter les cheveux de manière rassurante, en me murmurant que tout allait bien aller. Ça a réussi à m’apaiser.
C’est la première fois que je revis seule depuis janvier 2021. Mon indépendance et ma bulle personnelle sont des choses que je chéris beaucoup. Une partie de moi avait donc hâte de rebâtir un nid douillet dans lequel j’allais être bien tout le temps. Un repère pour mes précieux aussi. Une adresse où il fait bon vivre, où l’on se sent accueilli, et qui permet des échanges d’amour sincère, sous toutes ses formes.
En changeant de code postal, j’ai troqué la rue Saint-Viateur pour la rue Laurier Est, le PA pour le Metro, le Guillaume pour le Rhubarbe. Dans mon nouveau quartier, les maisons sont plus belles, j’ai l’impression que c’est vivant depuis plus longtemps ici. Les gens sont tellement gentils ; on dirait que tout le monde veut se faire accroire qu’on habite un petit village au cœur de la grande ville. Le jour de mon déménagement, ma tête de cochon et moi voulions tout faire seules (et j’ai réussi d’ailleurs !). Je me suis retrouvée les mains pleines de boîtes vides en essayant de ne pas tomber, mais finalement tout a glissé jusqu’au trottoir. Un garçon de 10 ans, en route pour aller à l’école, m’a regardée avec un air un peu découragé. Je lui ai dit : « Ouin, c’est pas ma meilleure technique hein, » en riant, et lui de me répondre : « C’est pas grave, je vais t’aider. » Il a pris mes boîtes, m’a aidée et est reparti en me souhaitant bonne journée. J’ai trouvé ça tellement charmant. Je cherche encore ses parents pour leur dire que leur enfant a très bon cœur. Je croise des clients du café un peu partout, dans les rues, au parc, à l’épicerie, et je leur souris, contente de voir que, si un soir je me sens seule, je peux simplement aller marcher dans mon quartier. Ça crée des partages de bouts d’histoires touchantes.
Mon nouveau chez-moi est un vieil appartement. Paul, l’homme à tout faire (de taille impressionnante d’ailleurs), m’a dit qu’il avait au moins 100 ans. J’aime m’imaginer qu’une autre femme a habité seule ici il y a 80 ans, même si, à cette époque, les femmes n’avaient ni cette chance ni cette liberté, surtout financière. Mon appartement est tellement vieux qu’il m’a littéralement fallu quatre jours pour comprendre le fonctionnement de mon chauffage.
La lumière est plus belle dans le Plateau. Il y a cette effervescence calme qui donne envie de créer, partager, savourer. En m’installant dans mon nouveau 4 et demi, j’ai décidé de ne pas avoir le wifi afin de seulement utiliser mes données cellulaires pour effectuer mes travaux d’université et nourrir mon Substack. Ça me permet de mieux m’ancrer dans l’espace-temps, sans distractions extérieures. Au départ, une des premières raisons qui a motivé ce choix était ma surcharge émotive et mentale de ma propre vie ; je n’avais pas l’espace pour consommer des bouts de vie de d’autres personnes à travers un écran. Je n’ai jamais été quelqu’un de très actif technologiquement parlant ou qui utilisait beaucoup son cellulaire, j’en deviens vite blasée. Mais ça me fait quand même un grand bien d’être dans cette période où l’ennui mène à la création.
Le soir, j’ai hâte d’arriver chez moi pour voir ce que ma tête et mon corps ont envie de faire. Peindre quelque chose d’abstrait peut-être, me faire un trop bon repas que je vais prendre plaisir à manger en lisant un article ou quelques pages de mon roman, ou bien continuer ma nouvelle passion pour le crochet afin de terminer mon balaclava avant l’arrivée de la neige. Et puis d’autres soirs, ça m’arrive de passer la porte et de mollement dire « Allô maison », de manger des craquelins avec du fromage à la crème et une clémentine en guise de souper en me disant qu’il faudrait vraiment que j’accroche mes cadres dans ma salle à manger. Ensuite, je me fais couler un bain chaud. Ici, j’ai le plus beau et le plus grand bain au monde ; je l’appelle la piscine Chambord tellement mon petit corps flotte dedans. Puis je m’immerge dans l’eau chaude en me parlant à voix haute pour m’aider à décortiquer comment je me sens. Souvent, je m’arrête en plein milieu d’une phrase pour fixer le vide et attendre que mes cheveux poussent, car je suis tannée de m’entendre parler. Mais toujours, cette petite lourdeur au cœur s’estompe lorsque je me glisse dans mon lit, livre de Sally Rooney à mon chevet. Je regarde mon plafond pour me rappeler combien je suis fière de la femme que je suis. Fière de me réaliser et de me prioriser. Enlacée dans cette liberté chèrement acquise qui me permet de pleinement Être.
Les villageois du Plateau me voient renaître, et depuis, on n’arrête pas de me dire que j’ai l’air en santé et que j’ai une belle peau. J’ai cette chance de partager des bouts de mon quotidien avec des gens précieux qui me font beaucoup de bien ; auprès d’eux, j’apprends tout le temps. En démêlant certains des plus gros nœuds de ma vie, je me vois tisser le plus beau filet de sécurité que j’aie vu exister en moi. Et ça, c’est un cadeau que je veux continuer à m’offrir longtemps.