Où est passée notre unicité ?
Comment les réseaux sociaux façonnent nos styles et nos comportements - et pourquoi on sacrifie notre unicité à une culture copiée-collée
J’étais sur l’avenue du Parc, dans l’auto, en plein trafic. J’attendais que la lumière tourne au vert et que les étudiant·es de McGill traversent la rue. En quelques minutes, j’ai réalisé à quel point ces étudiant·es se ressemblaient. Une uniformité presque totale, sauf chez quelques-uns que j’aurais voulu applaudir pour leur petite dose d’audace. Je me suis demandé si c’était moi qui étais exigeante et vieux jeu pour être irritée par trois jeunes portant la même tuque Arc’teryx et quatre autres avec le tote bag Trader Joe’s orné de (stupide) Labubu. Puis je me suis questionné si c’était la même chose à l’époque de mes parents. Je sais qu’il y avait les punks, les mods, les discos ou les freaks et que c’était pas mal ça, mais dans ma tête, chacun avait quand même son identité personnelle. Déjà là, la variété me semblait plus grande que les copiés-collées d’aujourd’hui.
Tout ça me ramène à une question : elle est où, notre unicité? Elles sont où, les personnalités de celles et ceux qui ne prennent jamais le temps de se demander ce qui les représente vraiment, préférant plutôt s’ajuster au monde autour d’eux ? Pour beaucoup, c’est rassurant de se fondre dans la masse, dans ce qui est populaire, ça crée un sentiment d’appartenance rapide et permet d’éviter de trop se dévoiler.
Ces réflexions m’ont ramenée à une vidéo YouTube que j’ai écoutée la semaine dernière. Une jeune femme basée à Londres, journaliste en mode durable, parlait des tendances pour lesquelles il est inutile de dépenser, versus celles qui traverseront le temps. Elle montrait des vidéos TikTok de microtrends vestimentaires tout en effleurant leur impact dans le monde de la fast fashion. N’ayant jamais été sur TikTok en raison d’un certain dédain pour cette application (me voilà honnête), je reste toujours fascinée de voir l’impact qu’une simple vidéo d’une créatrice ou d’un créateur de contenu peut avoir sur des milliers de personnes. Les Uniqlo et H&M de ce monde sont devenus le QG des consommateurs de TikTok, qui veulent recréer le plus fidèlement possible les styles qu’ils ont vus et consommés sur les différents réseaux sociaux, et ce, partout à travers le monde.
Ce qui m’irrite et me fascine dans la société dans laquelle on baigne, c’est le manque d’opportunités pour aiguiser son sens critique, pour développer son style personnel. Celui qui représente les différentes facettes de nous. Celui qui nous vient instinctivement, sans se retrouver dans une soirée avec la même chemise ou les mêmes pantalons que deux autres personnes.
Comprenez-moi bien : je suis tout à fait à l’aise avec l’idée de s’inspirer, de regarder ce qui nous plaît, de définir notre style. Mais je l’encourage lorsque ça se fait dans la vraie vie, ou de manière modérée. Pour ma part, je me tourne vers Pinterest lorsque je suis un peu en panne d’inspiration pour des habillements, une nouvelle manière de me maquiller ou autre. Et Pinterest, est lui aussi un réseau social toxique à utiliser de manière consciente, je ne dis pas le contraire.
Encore une fois, adhérer à un trend n’a rien de honteux si tu aimes réellement cette chose, et si tu penses que tu l’aimeras encore dans sept mois, une fois l’engouement passé. Moi, par exemple, j’ai été influencée par Eva Meloche, qui ne jure que par ses Baggy Dad jeans de Levi’s, disant à quel point ce sont ses jeans préférés et les plus confortables. Je suis donc allée les essayer et, effectivement, je suis tombée en amour avec cette paire de jeans. Mais j’ai réfléchi avant de les acheter. Est-ce que je les aimerais autant si je les avais trouvés par hasard, sans jamais en avoir entendu parler? Oui. Est-ce que je vais les porter plusieurs fois par semaine dans différentes occasions? Absolument. Sont-ils intemporels et de bonne qualité? Oui! Alors voilà, je me les suis procurés, et effectivement, ils sont maintenant dans mon top 2 de jeans préférés.
Je me vois troublée de voir les humains consommer de manière si peu consciente, parce que c’est cool ou trendy. Je sais que ça fait partie de la mondialisation et du monde hyperconnecté dans lequel on vit, mais j’ai de la difficulté à intégrer l’idée de tripper sur quelque chose juste parce que les autres aiment cette chose-là. Un exemple très parlant est la pénurie mondiale de matcha : pour une raison qui m’échappe, le matcha est devenu une boisson virale sur les réseaux sociaux. Étant barista et moi-même grande fan de matcha, j’ai vu l’engouement prendre de plus en plus d’ampleur pour ce thé japonais traditionnellement consommé de manière cérémoniale. Aujourd’hui, il est bu avec une tonne de sucre, de lait et autres artifices. Donc je me questionne encore une fois : est-ce que ces personnes prennent réellement plaisir à boire ce breuvage, ou le font-elles parce qu’elles se sentent tendances?
Un autre aspect frappant de cette mondialisation de l’information, c’est la manière dont les gens construisent désormais leurs itinéraires de voyage à partir de parfaits inconnus sur les réseaux. Bien sûr, certain·es proposent de véritables pépites, je n’en doute pas, mais une grande partie de ces recommandations sont aujourd’hui commanditées, rémunérées, pour engager, pas pour inspirer. Et le résultat, c’est que tout le monde converge vers les mêmes lieux, aux mêmes moments, pour la même photo. Les mêmes commerces voient affluer des foules toujours plus grandes, pendant que d’autres, tout aussi méritants, restent dans l’ombre. À force de suivre les mêmes traces, on finit par transformer le tourisme en reproduction massive, et ça devient un enjeu mondial.
L’unicité, aujourd'hui, est devenue une perle rare. Les gens se moulent dans le même modèle : leurs bébés sont habillés de la même manière, les adultes boivent tous dans la même Stanley Cup, qui regardent les mêmes émissions virales. Ça se suit comme des moutons, sans oser dépasser du troupeau, de peur d’être trop visible, justement de ce qui pourrait les distinguer.
J’aimerais voir davantage de personnes osent marcher un peu en dehors des sentiers battus, sans craindre de se faire pointer du doigt. L’unicité n’a jamais été aussi précieuse et nécessaire.
Et peut-être que réapprendre à la représenter, ce n’est pas réinventer entièrement qui nous sommes, mais simplement réapprendre à écouter ce qui, en nous, n’appartient à personne d’autre.
Un merci tout particulier à Oliver pour les magnifiques illustrations qui donnent vie à cet article ! xx





Tellement bien dit. C’est vrai que notre unicité, comme tu mentionnes, découle de la relation intime qu’on entretient avec notre monde intérieur. Alors comment redonner la place à cette intimité d’être exprimer par les choses qu’on aimes? As always, merci pour tes mots!
Et les illustrations sont wow! 🌟