La pauvre. Complètement épuisée, elle ne s’est pas vue venir.
Je me suis sentie exactement comme quand j’avais 8 ans et que j’étais en classe verte avec mon école primaire. Minable et vulnérable. Refusant de dire à qui que ce soit que je ne me sens pas bien parce qu’il ne faudrait surtout pas que je rende justice à l’image de la petite fille fragile que je projette. Non non, je suis une grande fille du haut de mes 5 pieds pile poil et ma lèvre du bas ne tremble jamais quand je retiens trop longtemps mes larmes.
Il ne faudrait pas que je déçoive celles et ceux qui estiment mon indépendance. Indépendance que je chéris énormément et que j’aime nourrir. Mais j’ai plein d’autres parties de moi qui mériteraient d’être honorées. Comme cette partie où j’écoute le plus attentivement possible mon instinct, ma petite voix intérieure qui me guide parfois à des endroits où je ne pense pas vouloir aller. Qui va à contre-courant de mes scénarios de vie idéale.
Je dis "la pauvre" parce que je trouve ça ironique : moi, une voyageuse dans l’âme, qui a vécu un an à Londres, qui à 17 ans suis partie avec une de mes meilleures amies, un billet aller simple en poche, le coeur brisé fuyant notre réalité. Ou à 19 ans, le coeur brisé une seconde fois, quand j’ai pris un autre aller simple, cette fois pour le Nicaragua. Puis l’hiver dernier, quand je suis partie en Amérique du Sud sans savoir pour combien de temps. Et en juillet 2023, un mois à Corfou et à Londres avec la famille G pour leurs vacances d’été. Mais là, cinq jours en direction du pays des cons, pour passer du temps avec des gens que j’aime et absorber un peu de soleil… Ça, ça me fait flancher. Enfin, ce n’est pas tant le voyage en soi, mais les multiples retards de mon vol et l’attente interminable à l’aéroport, seule, qui m’ont fait revisiter des coins d’anxiété que je n’avais pas vus depuis des années. Peut-être même depuis l’été 2006, lors de ma classe verte, quand je me suis retrouvée seule au milieu d’un lac, criant « ORAKO ! », le nom de mon moniteur, parce que je m’étais endormie dans mon kayak. Trop épuisée, mon estomac noué par mon stress de petite fille de huit ans, incapable de manger autre chose que des bananes depuis deux jours.
En parlant au téléphone avec ma sœur, je savais que ça allait rendre mon inconfort réel, et je remarque que c’est un mécanisme de défense que je maîtrise avec brio. Me retenir de parler des choses qui ne me rendent pas bien, car je n’aime pas les amener dans le monde réel. Je crois que je me débrouille assez bien en les gardant pour moi alors pourquoi les partager ? Pourquoi montrer mes failles et mes faiblesses et admettre que je suis fatiguée. Que les derniers mois m’ont coupé le souffle dans plein de sens et que je n’arrive pas à le reprendre, mon souffle. Que j’ai besoin de me poser, réfléchir, absorber. J’ai fait des choix, des changements, je me suis écoutée, j’ai travaillé à temps plein en même temps de faire cinq cours à l’université, j’ai inventé des minutes qui n’existaient pas, je me suis permise de savourer tellement de beau dans tout ce chaos, j’ai commencé une thérapie, j’ai déménagé, je me suis séparée, je suis retombée en amour, j’ai eu peur de décevoir, je n’ai pas voulu me perdre et là je me ramasse à la petite cuillère.
Dans mes derniers voyages, je cherchais la liberté, j’avais cette soif de m’envoler et de découvrir, tandis que dans les derniers mois, j’ai plutôt envie de ressentir mes racines pousser sous mes pieds. Dans mon nouveau pot de vie, terreau très fertile au bonheur d’ailleurs. Juste qu’il me faut un peu plus de temps et de patience.
C’est de drôles de sentiments contradictoires. Pleurer à chaudes larmes d’impuissance dans les bras de ma mère en lui disant que je sais que ça va passer, mais que c’est inconfortable quand même. Et ce, en même temps que de baigner dans plein de beau.
C’est comme une chute libre, tout en sachant qu’au bout, m’attend une arrivée des plus douce et confortable possible.
Je crois ne m’être jamais sentie aussi bien entourée de toute ma vie. Je me laisse être approchée et être vulnérable, je partage mes plaies ouvertes avec beaucoup plus d’aisance. J’apprends que ce n’est pas tout blanc ou noir. C’est correct de sentir le poids du monde s’écrouler sur moi, puis, deux minutes plus tard, rire pour rien et de me sentir heureuse. J’apprends à trouver mon équilibre et j’ai plein de gens pour me rattraper si jamais je fais un faux pas.
Je me souviens, à 15 ans, dans le chandail rose gomme balloune de mon amie V et mon chapeau de pêche bleu marine, de ma première fois au Bic avec mes parents. J’avais été profondément émue par la beauté du paysage. Ce séjour-là, ma mère m’avait appris qu’ajouter du jus d’orange frais dans une confiture c’est délicieux. Mais c’est aussi lors de ce séjour que j’avais pris conscience d’une vérité : je devais apprendre à m’aimer sérieusement. Une phrase me revenait constamment en tête: « Aimer le monde entier sans être capable de s’aimer soi-même ». Quand j’en ai pris conscience, j’ai trouvé ça tellement triste pour moi. Mais c’était exactement ce que je ressentais. Alors, j’ai décidé de faire preuve de bienveillance envers moi-même, d’apprendre à me connaître entièrement pour m’aimer de la tête aux pieds. Maintenant à 26 ans, j’aime la femme que je suis devenue. Je sais comment la réconforter, comment la rendre heureuse, et plus je me connais, plus j’adore découvrir l’évolution de celle que je suis.
Mais une chose m’échappe ces temps-ci, c’est le manque de douceur à mon égard. Je me vois traiter les gens que j’aime et que j’apprécie avec tellement d’amour, de délicatesse, d’ouverture, de douceur et de bienveillance mais quand ça vient à mon tour de m’offrir ça, je me sens minable. Je me dis que plus personne va m’aimer si je dis au monsieur à l’aéroport “I need to get out of here, I don’t want to take my flight anymore” alors qu’en réalité, c’est peut-être un peu mignon, d’une certaine manière.
Si j’avais lu cette scène dans un livre, et que la réalité était attribuée à un personnage qui n’était pas moi, ça me ferait sourire de découvrir une protagoniste un peu en détresse mais qui ne veut pas se l’avouer parce qu’elle a peur que les gens la voient comme elle est. Simplement humaine. Je me dirais qu’elle est bonne, un peu nouille parfois, mais je la trouverais bonne de passer par-dessus plusieurs de ses craintes juste parce qu’une voix en elle lui crie quelque chose qu’elle décide d’écouter, plutôt que de l’ignorer comme la majorité des adultes font. Je la trouverais attachante cette protagoniste qui s’invente la vie des gens à l’aéroport pour essayer d’ignorer la voix de son anxiété qui s’est pointé le bout du nez. Je la trouverais complexe mais attachante.
Et si sa vie avait été un film, j’aurais aimé qu’on filme ses jours suivants son retour de l’aéroport. Elle qui danse sous la douche au rythme de Cross the street de Junior Varsity, elle qui « bookends her day » comme son amoureux lui a appris à faire, elle qui mange des dumplings en tête-à-tête avec son livre, elle qui utilise le déodorant de celui qui partage sa vie parce qu’elle s’ennuie de lui, elle qui prend des marches interminables dans la ville juste pour voir du beau et rosir ses joues par le froid de l’hiver.
Elle qui se coupe du monde pour mieux se concentrer sur elle-même, afin que sa propre personne arrête de lui glisser entre les mains comme une barre de savon. Elle qui marque des dizaines de pages de son journal, parce que c’est exactement ce genre d’émotions qu’elle doit vivre pour pouvoir écrire comme elle aime.
C’est dans son écriture qu’elle se rapproche le plus de sa vulnérabilité. Parce que parler à la troisième personne et faire comme si ce n’était pas moi qui vivais tout ça, eh bien c’est guérisseur de plein de manières.
Je crois en toi xx