Je crois n’avoir jamais vraiment aimé les technologies. Quand je dis que je n’aime pas ça, on me rappelle souvent qu’elles sauvent des vies dans le domaine de la santé. Évidemment, j’apprécie cet aspect. Mais autrement, j’ai l’impression que la technologie éteint, d’une certaine manière, la vraie vie de plusieurs.
Ça fait environ cinq mois que j’ai quitté Instagram, mon seul réseau social, puisque je n’ai jamais consommé TikTok, Facebook ou autre. Il y a plus d’un an, j’ai désactivé toutes les notifications sur mon téléphone, à l’exception des appels de quelques contacts. Ce furent des choix naturels et logiques pour moi, car je n’ai jamais aimé consommer à grande échelle la vie des autres. J’utilise encore Pinterest, parce que ça m’inspire parfois, et YouTube pour me divertir les soirs où j’ai envie d’offrir une vraie pause à mon cerveau.
Je suis l’amie qui répond lentement, parfois même plusieurs jours après avoir ouvert un message. Je n’ai jamais compris pourquoi c’était mal vu. Laissez-moi le temps de respirer, de répondre avec intention plutôt que de réagir à la va-vite.
Le mois dernier, j'ai regardé Her de Spike Jonze. Theodore, le protagoniste, tombe éperdument amoureux d'une intelligence artificielle nommée Samantha. Leur relation est unique, fragile. On le voit, tout sourire, discuter avec un programme à travers son mini téléphone et ses écouteurs vissés aux oreilles. Ce film m'a rendue triste. Il date de 2013, mais en 2025, il n'a pas pris une ride. Au contraire, il résonne plus fort que jamais. Et c’est ça qui est triste : cette fragilité, cette artificialité des liens. Ça isole. Ça fait paniquer. Comme lorsque le système d’exploitation de Samantha se met à jour et que Theodore court, affolé, pensant l'avoir perdue dans l'infini néant de l'Internet. C’est triste cette détresse soudaine lorsque notre bien aimé nous glisse entre les mains seulement en raison d’une courte absence numérique. La romantique en moi a été touchée par cette scène où puisqu’ils sont dans l’incapacité de prendre de photos ensemble afin de capturer des moments, Samantha (l’intelligence artificielle) lui compose des morceaux de piano pour immortaliser leurs souvenirs partagés.
Pour moi, la surutilisation et la surexposition à la technologie dénaturent la vie sur Terre.
J'ai une conception de la technologie comme quelque chose de très artificiel, qui nous éloigne de l'essentiel : l'humain. En consommant les réseaux sociaux, j'ai l'impression qu'on oublie que nous, êtres humains du 21ème siècle, devrions nous sentir comblés, entiers, simplement en ayant les mains dans la terre de nos tomates fraîches, les pieds nus dans le gazon, à se saluer en communauté, partager des repas et des silences, sans la pression de devoir combler chaque instant.
Je ressens souvent le besoin de revenir à ma mère Terre, étourdie de lire les pensées des autres à longueur de journée, comme si je marchais dans le cerveau d'autrui. C'est épuisant, énergivore, d'être sans cesse bombardée d'opinions et d'informations infinies.
Avec cette ère vient aussi une forme de culpabilité : celle de ne pas être au courant de tout. Une simple story de dix secondes sur la situation dans X partie du globe peut donner l'illusion d'être informé. Et si jamais tu avoues ne pas être au courant de tel ou tel sujet, tu es soudainement perçu comme mal informé, voire irresponsable. Comme si l’ignorance temporaire était une faute.
Puis, il y a le rapport au corps. En tant que jeune femme, je n'imagine même pas ce qu'aurait été mon adolescence avec les réseaux sociaux d'aujourd'hui. J'ai ouvert Instagram à 15 ans. C'était l'extension de mon Tumblr, avec des posts du genre : «J'irais vivre en Théorie, car en Théorie tout se passe bien. »
(source : Pinterest)
Mais à 25 ans, je consommais Instagram en étant bombardée de milliers de corps différents. Je ne savais plus à quel modèle me conformer pour plaire. Devais-je avoir le ventre plat d'Emy Jade Greaves, des cuisses musclées mais pas trop pour rester "délicate" ? Aspirer à la minceur extrême d'Alexis Ren mais avec des fesses rebondies ? Mais à d’autre moment, on me disait qu'il faudrait que je me remplume. Une personne avec qui j'ai partagé ma vie m'a même dit un jour que j'étais "plus femme" avec des cuisses musclées, des fesses qui peinent à rentrer dans mes jeans, et des épaules définies. Alors je me suis éparpillée, en quête du corps parfait, consciente que les photos étaient retouchées, mais convaincue que j'y arriverais "naturellement". Sans vraiment me questionner à savoir quand moi dans tout ça je me sentais le mieux possible dans ma peau.
J’ai réussi à faire taire tout ça, en grande partie grâce à mon détachement des réseaux, mais aussi parce que ce détachement m’a rapprochée de moi-même.
J'ai longtemps cherché une image corporelle qui plairait au jury invisible de ma vie.
On perd tellement de temps précieux derrière un écran qui, personnellement, ne m’élevait pas plus haut.
L’ère du numérique me donne l’impression d’étouffer.
J’étais fatiguée de tout ça.
Alors j’ai tout effacé.
Je n’ai jamais eu peur perdre des liens ou des relations, car pour moi, les plus importantes et les plus nourrissantes sont celles qui existent dans le réel, dans le tangible. Je crois fermement que l’univers met les bonnes personnes sur ma route au bon moment. Et quand je pense fort à quelqu’un que j’ai envie de voir ou de contacter, je trouve toujours un moyen de le croiser quelque part en ville et de lui proposer de passer du temps ensemble.
Quitter Instagram, c’était un peu comme rompre avec une personne toxique. Je savais qu’en choisissant de me détacher de cette application, une certaine aversion, voire un dédain, finirait par s’installer. Je suis loin de juger ceux qui l’utilisent, détrompez-vous, mais pour moi, aujourd’hui, et sûrement depuis toujours sans l’admettre pleinement, j’assume mon désir d’éviter à tout prix cette vie artificielle.
Oui, se rapprocher de soi en balayant le bombardement de soi par l'artificiel proposé ...comme tu notes si bien.
"Connais-toi toi-même" disait Socrate, pour redire une phrase inscrite au fronton d'un temple Hellénique.
Précieux aussi de remarquer "... j'ai l'impression qu'on oublie que nous, êtres humains du 21ème siècle, devrions nous sentir comblés, entiers, simplement en ayant les mains dans la terre de nos tomates fraîches, les pieds nus dans le gazon, à se saluer en communauté, partager des repas et des silences, sans la pression de devoir combler chaque instant..."
L'Être a besoin de silences, oui, partagés avec d'autres ou avec la nature. Des pas dans un parc, à regarder les arbres, un sentier de forêt parcouru avec les sens tout en éveil, un moment assis à écouter le gazouilli d'un ruisseau, un temps à se perdre dans les yeux de son amour, sont autant de moments de déambulation en soi, au fond. Et de contact avec la sensualité du vivant.
Je crois que ce doux mécanisme nous met en contact avec la poésie essentielle de notre âme.